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Qu’est-ce que l’État ? Une définition critique.

L’Etat est la structure politique et administrative qui concentre le pouvoir souverain, tel que défini par la Constitution. Banalisé par des années d’existence, l’Etat est devenu si naturel qu’il est aujourd’hui impossible de concevoir la vie politique et sociale sans lui. Il est pourtant nécessaire, en introduction, de rappeler que l’Etat est une construction sociale et politique qui prend corps dans la Constitution de la Ve République. Comme déjà dit dans les entrées précédentes, il n’existe ni vérité absolue, ni vie-cible ; l’Etat ne saurait alors être une structure-cible, le Saint Graal de l’organisation de la vie politique et sociale, et il est tout à fait philosophiquement acceptable d’en faire la critique, et de proposer d’autres modalités d’organisation ou de désorganisation de la vie en société.

L’Etat base donc sa légitimité sur la Constitution de la Ve République, adoptée virtuellement par et pour le peuple, en 1958. On peut tout naturellement s’interroger sur la réelle légitimité d’un appareil dont les fondements ont été posés en 1958, surtout que l’Histoire a tendance à s’accélerer depuis la fin du vingtième siècle et le début de vingt-et-unième siècle, notamment grâce à internet. La critique de l’appareil d’Etat devient alors de plus en plus facile ; et dans le même temps, de plus en plus compliquée, puisque l’Etat, tout naturellement, se défend.

Et il est en bonne position pour se défendre. En effet, celui-ci acquiert naturellement le monopole de la violence légitime ; alors que la violence est neutralisée dans toutes les couches de la population, l’Etat concentre la totalité des effectifs militaires et policiers.

Je tenterai ici de décentrer notre regard politique, souvent trop concentré vers la vie politique institutionnelle (c’est-à-dire la vie politique de l’Etat), et de développer une sommaire mais nécessaire critique de l’appareil d’Etat.

L’Etat, une institution à adhésion forcée

Tant que l’Etat existera, toutes les couches de la population seront contraintes d’inscrire leur existence dans celle de l’Etat. Cela passe par l’asujetissement forcé aux impôts levés par l’Etat (obligation d’adhésion collective). Il est théoriquement possible de faire le choix de ne pas se soumettre à cette levée d’impôts, mais c’est risquer de s’exposer à la coercition d’Etat, qui a des répercussions immédiates et lourdes sur l’existence individuelle. Ainsi, il conviendra généralement de payers ses impôts, et donc de s’inscrire dans l’Etat, pour continuer à mener son existence. Il s’agit donc bien d’une institution à adhésion forcée.

Cela a des revers plus problématiques, et notamment la démocratie autoritaire qu’imposent les valeurs de l’Etat et de la République.

La démocratie autoritaire : quand les défenseurs de la démocratie forcent des individus à adhérer à l’appareil d’Etat

L’abstentionnisme fait l’objet de nombreux débats, et il est au cœur de ce qui me semble être une énorme contradiction, qui prête certes à sourire, mais qui est symptomatique de la présence généralisée et quasi-naturelle de l’Etat et de sa politique institutionnelle.

Si on peut admettre l’obligation d’asujetissement à la levée d’impôts pour le bien de la collectivité, il devient un peu plus compliqué, moralement et philosophiquement, de défendre l’obligation pour tout un chacun d’adhérer individuellement à l’appareil étatique. C’est pourtant bien ce qui se passe à chaque élection en France, à travers ce que j’appelle la démocratie autoritaire.

Ses défenseurs, qui ne l’appellent bien évidemment pas comme ça (ils préfèreront les expressions idéologiques et orientées telles que “devoir citoyen”), pointent du doigt que l’abstentionnisme tue la politique institutionnelle, puisque les candidat⋅es élu⋅es le sont sans une partie du corps électoral, fainéant, qui a préféré rester chez lui. Ils pointent également du doigt, dans le cas par exemple du second tour de l’élection présidentielle de 2017 opposant Emmanuel Macron à Marine le Pen, que s’abstenir, c’est voter le Pen.

Mais l’argument principal avancé par les défenseurs de cette démocratie autoritaire, c’est qu’il appartient à tout un chacun de participer à la démocratie en élisant ses représentants.

Intéressons-nous quelques instants à la contradiction que représente cet argument :

  • L’Etat est donc bien une structure politique, la République un régime
  • Pour participer à la démocratie, il faudrait donc adhérer sans réserve aux institutions de l’Etat et de la République, puisque la “participation à la démocratie” (telle que défendue par les gens dont je parle) passe par les institutions même de l’Etat
  • Il n’est donc pas permis de se positionner contre l’Etat dans ce schéma-là
  • Les défenseurs de cette démocratie, qui stigmatisent à chaque élection les abstentionnistes, imposent donc une adhésion à un appareil politique et à un régime politique
  • La position la plus démocratique à mon sens, serait un minimum de critique de l’appareil d’Etat, et l’acceptation par les chevaliers blancs de la démocratie, que l’Etat est une construction politique qu’il est possible de désapprouver.

Ces mêmes chevaliers blancs, souvent, conclueront qu’ils sont même pour la comptabilisation du vote blanc. Mais le vote blanc constitue une participation à la politique institutionnelle, puisque l’électeur⋅trice se déplace jusqu’au bureau de vote et reconnaît, de facto, les institutions de l’Etat comme étant légitimes. En votant, il donne du crédit à l’appareil d’Etat. L’expression de l’opposition à l’Etat ne peut donc pas passer par les urnes, sans quoi elle serait contre-productive.

S’opposer à l’Etat, défier l’Etat

L’opposition à l’Etat doit donc, naturellement, passer par des voies “a-étatiques”, c’est-à-dire hors des institutions de l’Etat. C’est pourquoi la contestation de l’appareil d’Etat (parfois appelé système à juste titre, puisque l’Etat est un système idéologique, politique et administratif omniprésent) prend corps majoritairement dans la rue, avec des affrontements parfois violents avec les forces de police. Les forces de police sont visées car devenir policier, c’est, en plus d’adhérer à l’Etat, la volonté de le défendre : les forces de police sont présentes sur les manifestations pour prévenir d’un trouble à l’ordre public, sur décision du préfet… institution de l’Etat. Qu’entend-on alors par “trouble à l’ordre public”, quand cette décision est prise par une branche d’un appareil construit politiquement et articulé autour de valeurs politiques ? Si on décentre son regard, chaque intervention des forces de l’ordre traduit une volonté politique.

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